France – Entretien avec Karim Ouchikh, président du SIEL, parti souverainiste français : « Le renouveau identitaire permettant d’embrasser à nouveau l’idéal européen ne viendra donc pas à mes yeux de ce Paris, Berlin ou Londres, mais plutôt de Budapest, Prague ou Varsovie. »
Karim Ouchikh est l’un des hommes politiques français ayant le plus clairement et le plus ouvertement témoigné de son soutien au projet du groupe de Visegrád ; il aime souvent se référer à Viktor Orbán. M. Ouchikh a accepté de répondre aux questions du Visegrád Post.
Ferenc Almássy : Nous nous sommes connus il y a à peu près un an, suite à votre soutien déclaré à Viktor Orbán, au moment où la crise des migrants battait son plein, et que le gouvernement hongrois s’est retrouvé sous le feu des médias mainstream. Vous avez pris non seulement la défense de Viktor Orbán à ce moment-là mais vous avez voulu témoigner publiquement de votre soutien en organisant une manifestation en ce sens. Est-ce que vous pouvez nous expliquer la raison de ce positionnement, alors que même un parti comme le Front National n’a pas fait de déclaration aussi forte de soutien envers Viktor Orbán, dont la politique migratoire est qualifiée par certains médias occidentaux comme « d’extrême-droite » ?
Karim Ouchikh : Mon objectif en 2015 était de soutenir clairement la politique volontariste et courageuse de Viktor Orbán, lequel avait pris conscience du chaos migratoire qui frappait à l’époque l’Europe : il avait souhaité alors dresser des barrières pour protéger l’intégrité de son pays mais également celle de l’espace Schengen, car la Hongrie se doit de protéger les frontières extérieures de l’Union européenne, tout comme sa frontière avec la Serbie.
A un moment où Viktor Orbán était accablé d’innombrables critiques venant de toutes les chancelleries occidentales, il me paraissait important que le SIEL puisse lui apporter clairement son soutien politique. C’est pourquoi j’avais appelé à soutenir Viktor Orbán en organisant, le 7 novembre 2015, un rassemblement devant l’ambassade de Hongrie à Paris. Une initiative qui d’ailleurs faisait suite, deux mois auparavant, à une autre manifestation du SIEL, cette fois-ci organisée devant l’ambassade d’Allemagne à Paris, où nous contestions, pour le coup, la folle politique migratoire de Mme Merkel.
Après avoir adopté cette attitude offensive contre la chancelière, nous entendions aussi faire valoir, de façon générale, nos vifs encouragements à la politique menée à Budapest par Viktor Orbán, l’un des artisans les plus actifs de ce redressement spirituel, moral et culturel de l’Europe qui est actuellement à l’œuvre sur notre continent.
Nous considérons que c’est un grand homme d’Etat, une des grandes consciences européennes, une personnalité dont l’action courageuse permettra, je l’espère, de renouer avec cet idéal européen que nous avons malheureusement que perdu de vue ces dernières années.
FA : Soyons honnêtes, il y a parfois, on peut le voir dans les milieux d’opposition, en particulier en France, une propension à trop élever sur un piédestal certaines personnalités politiques étrangères, on a pu le voir aussi bien avec Poutine qu’avec Trump. N’avez pas une vision trop idéalisée de Viktor Orbán et n’en attendez vous pas trop de lui ?
Karim Ouchikh : Non, nous prenons acte de son courage politique, lorsqu’il affronte sans état d’âme le diktat de Bruxelles, et du souci du bien commun magyar qui l’anime lorsqu’il mène, à la tête de la Hongrie, une politique volontariste tournée aussi bien vers le redressement économique de son pays que vers la prospérité économique et sociale de son peuple. Le souverainiste français que je suis prends tout autant acte de sa volonté de fonder une nouvelle Europe.
Depuis près de trente ans, l’Union européenne est marquée en effet du sceau d’un fédéralisme qui tend à abolir les frontières et à nier les peuples et, pour s’opposer à ce projet supranational, je constate que peu d’hommes d’Etat proposent un projet alternatif qui réviserait radicalement la construction européenne en le fondant sur un modèle institutionnel confédéral. Et parmi les rares acteurs politiques qui défendent cet autre modèle, celui qui porte haut et fort la voix des peuples européens, c’est bien Viktor Orbán ! Avec d’autres, il est celui qui incarne parfaitement cette volonté farouche des peuples européens à ne pas sortir de l’Histoire, sans jamais renoncer à un dessein européen ambitieux. Nous ne surévaluons donc pas exagérément l’écho qu’il produit auprès des opinions publiques européennes.
Il a été aussi à l’origine de la ‘‘réactivation’’ du groupe de Visegrád, cette instance régionale qui œuvre à valoriser les convergences économiques et culturelles de la Hongrie, de la Tchéquie, de la Slovaquie et de la Pologne, en utilisant toujours intelligemment ce levier politique local pour peser à l’égard du pouvoir technocratique qui siège à Bruxelles. Je vois cette institution d’un bon œil car j’espère que pourra ainsi se créer un bloc eurosceptique puissant, capable de damer le pion au bloc européiste aujourd’hui composé de l’Allemagne et de ses alliés (Benelux et pays scandinaves) qui, pour l’instant, domine à Bruxelles. À cette force eurobéate, il faut donc opposer une puissance politique alternative dont l’épicentre se trouve à Budapest ; à mes yeux, Viktor Orbán est en quelque sorte l’âme de ce groupe de Visegrád, mais aussi l’artisan d’un renouveau identitaire de l’Europe qui puise ses forces au sein du V4.
FA : Concrètement, en tant que personnalité politique française, comment voyez-vous les liens qu’il pourrait y avoir entre la France et le V4, et quels pourraient être les intérêts français ? Parce que c’est une chose que ça vous soit sympathique idéologiquement, mais quels intérêts pour la France ?
Karim Ouchikh : Je constate que la France est sous l’emprise d’une double-dépendance. Les gouvernements de droite comme de gauche qui se sont succédés au pouvoir depuis plus de vingt ans ont fait preuve d’un atlantisme extraordinaire qui confine à une servilité diplomatique criminelle ! Le Quai d’Orsay a renoncé à pratiquer une diplomatie indépendante, fidèle à cette tradition capétienne que Charles de Gaulle avait si bien préservée dans les années 60 : une politique indépendante, une politique d’équilibre œuvrant contre toutes les hégémonies, qui place l’intérêt supérieur du pays au cœur de notre action internationale de la France. Au lieu de cela, la France se cale tragiquement dans le sillage de Washington.
Mais je déplore aussi vivement l’assujettissement de la politique étrangère de la France aux intérêts économiques de l’Allemagne, notamment en ce qui concerne la diplomatie pratiquée à l’égard de la Russie. Cette nouvelle donne tend à pervertir la mission assignée au couple franco-allemand qui, depuis les années 60, a été le cœur nucléaire de toute construction européenne. Le fait que la France renonce désormais à tenir son rang vis à vis de l’Allemagne crée évidemment un déséquilibre politico-diplomatique au bénéfice de l’Allemagne, ce qui est manifestement inquiétant pour l’avenir du continent ; je crois fortement en la nécessité de préserver un équilibre entre les grandes puissances européennes, sans quoi le risque est bien réel de voir se disloquer toute ambition européenne sur les prétentions hégémoniques de Berlin.
A titre personnel, je souhaiterais que la France rejoigne ce groupe de Visegrád, sous un statut et un mode de coopération à définir, afin que Paris apporte sa contribution au redressement identitaire de l’Europe ; ce faisant, se renforcerait aussi en Europe, – avec ce V4 élargi qui entrainerait sans doute dans son sillage les pays latins (Portugal, Espagne, Italie, Grèce) -, une Entente confédérale qui ferait utilement contrepoids à ce Bloc fédéraliste rhénan qui s’étend à présent, avec l’Allemagne, jusqu’à la mer Baltique. Si nous parvenons à bâtir cette alliance diplomatique inédite, nous pourrions nous dispenser d’une sortie de l’UE et de la zone euro, ce dilemme qui tracasse tant les Français à l’approche des élections présidentielles et des législatives à venir. Si l’on demeure en effet dans le cadre actuel de l’Union européenne, nous sommes condamnés à poursuivre une aventure qui a fait la preuve de son échec institutionnel, économique, et social.
L’alternative est simple : soit donc on sort de l’UE, en faisant application de l’article 50 du traité de Lisbonne, à l’image du Royaume-Uni, mais aussi de la zone euro, soit on décide de renégocier radicalement le modèle institutionnel européen pour nous tourner vers un système confédéral. Cette perspective de modification des traités européens, de l’intérieur, est aujourd’hui possible alors qu’elle ne l’était pas voici quatre ans en raison des rapports de force de l’époque qui ont, depuis, profondément changé au sein de l’Union européenne : l’euroscepticisme domine désormais dans de nombreuses chancelleries et cette nouvelle donne doit nous permettre de renégocier les traités, sans avoir à sortir formellement de l’UE. Toutefois, je n’écarte pas l’option de recourir au vote référendaire des Français pour sortir des traités européens, si d’aventure ces négociations devaient ne pas aboutir.
FA : Donc en fait, on parle plutôt d’altereuropéens que d’eurosceptiques ?
Karim Ouchikh : Les eurosceptiques sont en effet partisans d’une voie alternative au modèle institutionnel contemporain : profondément attachés à un idéal européen qui consiste en définitive à préserver la pluralité des identités culturelles de notre continent, les eurosceptiques déplorent que ce projet européen authentique soit perverti à présent par la construction technocratique actuelle. En ce sens, les eurosceptiques sont bien des altereuropéens qui refusent de condamner l’Europe à demeurer l’arrière boutique des Etats-Unis, c’est à dire un espace économique mercantile, ouvert aux vents mauvais du désordre libéral-libertaire.
De ce point de vue, le groupe de Visegrád me parait être aux avant-postes de ce combat culturel qui aspire à réconcilier enfin les peuples avec l’idéal européen.
FA : Vous faites référence peut-être à cette contre-révolution culturelle annoncée par Orbán et Kaczynski l’été dernier ? Et est-ce que vous croyez que c’est quelque chose qui est applicable en France ?
Karim Ouchikh : Contrairement à la Pologne ou la Hongrie, le modèle de société français ne dégage aucune de puissance identitaire propre car la France fonde artificiellement son modèle sur des ‘‘valeurs de la République’’ parfaitement introuvables, sur un modèle ‘‘républicain’’ abstrait qui renie au fond ce qu’est l’être français : une terre, une histoire, une langue… bref un rapport charnel à la France, sans lequel nos compatriotes sont bien incapables de se situer dans le temps et dans l’espace et trouver un destin commun.
Dans de telles conditions, je crois que la France est mal armée pour affronter des défis de ce temps comme l’islamisation de l’Europe : la France, je le rappelle, abrite une communauté musulmane considérable qui s’enferme depuis bien des années dans un communautarisme exacerbé, au risque de faire sécession d’avec la communauté nationale. Cette islamisation rampante se développe d’autant plus qu’elle prospère en France sur un vide moral, spirituel et historique : ce terreau sociologique est évidemment propice à l’émergence de forces islamistes, passablement obscurantistes. Ce phénomène n’existe pas dans les autres pays d’Europe, notamment en Europe de l’Est, en tous les cas pas en de telles proportions, précisément parce que ces autres nations de notre continent ont su conserver un sentiment d’appartenance identitaire commun puissant, fondé bien souvent sur la prééminence culturelle du fait chrétien, qui est de nature à entraver manifestement le développement de modèles de civilisation étrangers aux traditions de notre continent.
Le renouveau identitaire permettant d’embrasser à nouveau l’idéal européen ne viendra donc pas à mes yeux de ce Paris, Berlin ou Londres, mais plutôt de Budapest, Prague ou Varsovie.
FA : Vos parents sont d’origine algérienne, et vous même pourtant vous pourriez être pris comme un exemple d’intégration. Vous êtes de toute évidence, de cœur et d’esprit un Européen, alors pourquoi est-ce que cela ne fonctionne plus en France, pourquoi est-ce qu’en France tous les immigrés ne sont pas comme vous ? Et qu’est-ce qui a fait de vous un Européen à part entière et un chrétien ?
Karim Ouchikh : Je suis fils d’immigrés, né en France de parents kabyles, qui a réussi, je crois, son assimilation d’abord grâce à l’école de la République que je remercie. Je me réjouis chaque jour d’être né en France, dans ce pays merveilleux que j’aime intensément.
Je suis catholique, converti depuis un peu plus de 12 ans. Ma foi constitue certainement un ressort essentiel qui anime mon engagement politique, lequel me pousse certainement à ne jamais réduire la France au seul modèle institutionnel de la République et à toujours plaider l’importance centrale de ses racines chrétiennes.
Je veux combattre la vision laïciste du modèle de société français contemporain, à la fois réductrice, insipide et mortifère. Je suis frappé de voir à quel point les Français sont de plus en plus indifférents à leur histoire, aux grandes figures de leur passé, à leur héritage millénaire. En d’autres termes, je souhaite réenchanter le modèle de civilisation français, le revitaliser en faisant en sorte, par exemple, d’intégrer dans le préambule de la Constitution de 1958 les racines chrétiennes de la France. Je veux aussi que l’on puisse admettre que si les cultes sont formellement égaux entre eux, les religions ne le sont pas au regard de la mémoire historique de notre pays : en d’autres termes, il doit y avoir une prééminence du fait chrétien résultant d’un privilège de civilisation consenti au bénéfice du christianisme. En réaclimatant au fond dans le débat public cette dimension identitaire de l’imaginaire français, en sachant en somme d’où nous venons, nous pourrons collectivement nous projeter sereinement dans l’avenir et renouer avec une confiance en nous-même aujourd’hui perdue. Et ainsi ressembler à nos amis hongrois, polonais, tchèques ou slovaques qui n’entretiennent aucun tourment, ou si peu que ce soit, au regard de leur identité profonde…
FA : Et à votre avis pourquoi ? Pourquoi n’ont-ils pas ces problèmes que vous dénoncez en France ?
Karim Ouchikh : Sans doute parce que ‘‘protégés’’ durant près de 50 ans par le communisme, ils ont été en quelque sorte mis à l’abri du matérialisme occidental, de la société de consommation anglo-saxonne, si destructrices des identités nationales, des appartenances naturelles et des enracinements historiques…
FA : Pourtant le communisme s’est attaqué aux identités, à l’héritage chrétien en particulier.
Karim Ouchikh : Certes, mais je crois que cette entreprise de démolition programmée de l’héritage ‘‘bourgeois’’ n’a pas été mené en profondeur, de manière durable et systématique, en sorte que la politique de la table rase pratiquée par les régimes communistes n’a guère permis la disparition des fondements culturels et spirituels des pays de l’Est, lesquels sont réapparus promptement au lendemain de l’effondrement du communisme européen.
FA : C’est-à-dire que vous pensez que le communisme a causé moins de dégâts sur les peuples d’Europe centrale et orientale que …
Karim Ouchikh : …la pensée laïciste en France ? Oui, notamment parce que le joug communiste a duré quelques décennies sans totalement dissoudre les identités d’origine alors que la France vit, depuis le siècle des Lumières, au XVIIIème siècle, sous l’empire d’une pensée laïciste, terriblement destructrice de son âme authentique.
FA : Pourtant vous êtes vous-même un défenseur d’un certain libéralisme économique.
Karim Ouchikh : Je suis effectivement épris de libertés car il y a en France un certain nombre de bastilles à renverser, celles qui enchaînent la pensée dans les médias, qui stérilisent les savoirs dans l’Education nationale, qui brisent la liberté d’entreprendre dans le monde économique… Le libéral que je suis d’un point de vue économique place toutefois l’homme au cœur de sa réflexion, en cultivant une vision personnaliste de notre société économique qui resterait attentif, dans un dessein ordo-libéral, à la dignité humaine et au respect des droits du travailleur ; en ce domaine, je me rattache ainsi très clairement à la doctrine sociale de l’Eglise.
Je crois très fortement à un modèle de société qui serait tournée vers un développement maitrisé qui, en recherchant toujours à atteindre la nécessaire compétitivité économique, ne s’aliènerait pas pour autant le concours de toutes les forces humaines productives.
FA : Pour conclure sur le groupe de Visegrád, vous avez évoqué tout à l’heure les Etats-Unis, aussi l’Allemagne, comment voyez-vous l’avenir et le rôle du groupe de Visegrád dans cette espèce de guerre froide actuelle entre les Etats-Unis et la Russie, quels changements pensez-vous que le groupe de Visegrád pourrait subir, ou amener ?
Karim Ouchikh : Exception faite de la Pologne, les pays du groupe de Visegrád entretiennent de bonnes relations aussi bien avec les Etats-Unis qu’avec la Russie. Je pense que la vocation du V4 est donc de participer pleinement au rétablissement d’un dialogue apaisé entre Washington et Moscou, aujourd’hui possible grâce à une disposition d’esprit partagé par leurs dirigeants respectifs, lesquels aspirent en effet désormais, pour Trump comme pour Poutine, à sortir du tête-à-tête belliqueux qui avait dominé les relations internationales sous l’administration Obama : l’Ukraine, les pays baltes, le Moyen-Orient… ne doivent plus être des théâtres d’affrontement diplomatiques récurrents entre ces deux grandes puissances.
Autre ambition politique : le groupe de Visegrád doit aussi permettre l’émergence, dans un monde multipolaire aujourd’hui incertain, d’une Europe puissance qui aurait enfin conscience de ses intérêts communs, d’une Europe qui serait capable de communier à un même destin commun, avec l’ambition de faire de notre continent un acteur majeur qui, dans les décennies à venir, ferait jeu égal avec les Etats-Unis mais aussi avec les puissances émergentes que sont la Chine et l’Inde.
En un mot comme en cent, rien de négligeable ne se fera pour l’avenir de notre continent si cette puissance régionale que constitue le groupe de Visegrád parvient à conserver sa remarquable cohésion identitaire, en cultivant chaque jour les liens culturels et identitaires qui font aujourd’hui sa force.